raw-rows

Colonnes paramétrique
Briques de coquilles de moules et coquilles d’huîtres.
2021

hors-studio présente Raw-Rows, un ensemble de colonnes ornementales combinant design matière et design paramétrique. Exposition au CCCOD de Tours.

photos : Matthieu Baranni

Inhérent à leur démarche artistique de s’emparer de l’héritage décoratif, hors-studio revisite ici la colonne, en alliant le design génératif à une forme classique culturelle. Le répertoire ornemental est un miroir du monde, puisant sa source dans la nature ou bien encore dans la géométrie.

C’est en utilisant ces deux types de ressources - qu’elles soient matérielles ou intellectuelles - que l’installation prend son sens, qu’elle vient interroger aussi bien le cycle de vie du matériau, sa pérennité et son mode de construction.

L’apport des outils paramétriques et algorithmiques permet de créer un assemblage modulaire et innovant de briques eco-conçues.
Entièrement biodégradables, les briques qui constituent les colonnes sont réalisées avec des déchets de coquilles (huîtres, moules et saint-Jacques) et liées avec de l’algue. Grâce à ce savoir-faire de réemploi des déchets/ressources (récupérées soit dans les restaurants environnants ou les industries de la conchyliculture) et l’association d’un bio-collagène, les matières utilisées peuvent ainsi êtres restituées à leur habitat d’origine une fois dissolues dans l’eau. Avec cette installation hors-studio propose une solution alternative pour des scénographies éphémères, où le décor crée pourrait revenir à son état naturel.

Cette installation montre aussi les passerelles qui s’opèrent entre art et science et les enjeux du travail collaboratif. Les nombreuses recherches en bio-matériaux et en design organique publiées en open-source ont été d’une aide précieuse pour la création des colonnes. Hors-studio a collaboré avec Aurélien Jeanjean, ingénieur en mécanique et construction, spécialisé en dessin paramétrique sur la plateforme de développement Rhino-Grasshopper. Raw Rows établit ce lien sensible entre la pratique du design et la nature environnante qui nous offre des possibilités pour construire et créer.

La Partition d’un instant.
Exposition au CCCOD 18 février 2021 - Novembre 2021
Texte de Delphine Massoon pour le CCCOD

Réunies au sein de Hors-Studio, les designers Rebecca Fezard et Elodie Michaud se sont spécialisées dans le design matière, surface et textile. Installé à Tours, le binôme mène depuis 2016 un travail de recherche et d’expérimentation orienté sur le matériau, depuis son choix à son traitement et son ennoblissement.
hors-Studio s’empare à cet effet de l’héritage décoratif, défendu et réinterrogé à l’aune des technologies, des formes et des usages contemporains.     
Soucieux de la responsabilité du designer et de l’impact de ses productions sur l’environnement, le studio s’investit particulièrement dans la valorisation des déchets produits par les filières industrielles et artisanales. A partir de ces chutes, Hors-Studio imagine de nouveaux matériaux et de nouveaux usages à développer. C’est dans cet esprit que le studio a fondé en 2020 la plate forme collaborative et open source Precious Kitchen[1]. Cet espace numérique permet de répertorier les chutes identifiées et de partager des recettes de matériaux ouvertes à tous. Ces recherches innovantes dans le champ du design matière ont été saluées par le Grand prix de la Création de la Ville de Paris dont Rebecca Fezard et Elodie Michaud ont été lauréates en décembre 2020 dans la catégorie Design.

 Le CCC OD invite Hors-Studio à investir les galeries transparentes avec une installation conçue spécifiquement pour cet espace d’exposition atypique, visible depuis l’extérieur du centre d’art.  « La partition d’un instant » se déploie comme un paysage panoramique en trois volets qui associent les axes de recherche actuels des deux designers : l’expérimentation de matériaux, la tradition décorative et la programmation numérique comme vecteur de formes nouvelles. A l’heure où l’humanité peut sembler à la croisée des chemins, c’est une réflexion sur le temps et l’impermanence que proposent les deux designers. Leur proposition dessine les contours d’un territoire imaginaire où les strates temporelles seraient amalgamées, une cité émergeant des vestiges du passé pour interroger les productions du présent et leur devenir. A travers cette installation, hors-studio aborde une question cruciale pour les créateurs d’aujourd’hui, à l’heure où augmente la dette écologique : comment peut-on ajouter des objets au monde ? Comment penser, dès à présent, les ruines de demain pour qu’elles ne pèsent pas encore davantage ?

Oscillant entre l’ancrage dans la tradition et la recherche expérimentale, entre la matérialité artisanale et l’immatérialité numérique, cette exposition est à l’image de la pratique de hors-studio, qui relie en permanence le passé et le présent. Circulant comme un fil conducteur sur les vitres des trois galeries, le motif d’un « carton jacquard » établit ce premier lien entre la tradition ornementale et le langage de programmation.
Inventé en 1801 par Joseph-Marie Jacquard, le métier à tisser peut être considéré en effet comme l’ancêtre de l’outil informatique ou même de l’intelligence artificielle, puisqu’il invente le premier système mécanique programmable avec des cartes perforées. On retrouve ici le rythme de ces « partitions » muettes qui impriment, par intermittence, leur vibration aux différentes phases de l’installation.

Dans la première galerie, un papier peint panoramique revisite le motif Isola Bella créé en 1842 par la Manufacture Züber. Représentatif du goût pour l’exotisme très présent dans les arts décoratifs de l’époque, ce paysage paradisiaque d’îles italiennes à la végétation luxuriante parvient jusqu’à nous comme un écho lointain, déformé et transformé par l’effet du « glitch » : ce procédé utilise les défaillances de codage et les bugs de l’outil informatique pour produire une nouvelle esthétique de formes et de motifs. Il crée ici des ruptures et des glissements dans l’image originale. D’abord gravé sur papier puis agrandi, le nouveau paysage « glitché » de Hors-Studio se redessine dans une texture particulière fusionnant les variations du pixel et la trame de l’imprimé.

Parmi les colonnes qui scandent la seconde galerie s’élèvent « Raw rows », quatre colonnes paramétriques en briques bicolores dont le volume complexe a été dessiné grâce à l’outil numérique génératif. La virtualité des algorithmes s’allie ici au geste artisanal puisque chaque brique est façonnée à la main. Les deux designers utilisent un matériau de leur conception réalisé à partir des déchets de la conchyliculture : des coquilles d’huîtres et de moules sont broyées et amalgamés avec une algue (l’agar-agar) qui fonctionne comme un biocollagène. Destiné pour l’instant à des réalisations éphémères, ce matériau naturel issu de la mer ouvre des perspectives pour développer des constructions sans aucun impact pour l’environnement : les briques pourraient en effet retourner à leur élément d’origine et s’effacer dans l’océan dès qu’elles n’auront plus d’usage. La colonne est un élément particulièrement emblématique dans l’histoire de l’architecture et des styles. Un héritage culturel dans lequel s’inscrivent ces constructions paramétriques, qui dialoguent ici avec d’autres colonnes d’inspiration classique réalisées par un staffeur-ornemaniste. Celles-ci témoignent d’une tradition artisanale et d’un répertoire décoratif traversant les siècles, que Hors-Studio revisite à l’heure de l’impression 3D et de son potentiel infini. De nombreux éléments rendent compte de ces expérimentations qui jouent des déformations ou hybridations des motifs ornementaux.  

C’est une vision plus archéologique qui se déploie dans la troisième galerie, où Hors-Studio se projette dans le devenir de sa propre production. Les images des artefacts conçus par les deux designers à partir de leur panel de matériaux sont marouflées sur des pierres, telles de fantomatiques vestiges tombés au sol. En regard de ces fragments épars, des panneaux décoratifs évoquent l’Hôtel de Beaune-Semblancay, un bâtiment du XVème et XVIème siècle situé à proximité du centre d’art et dont il ne reste aujourd’hui que la façade évidée. Patrimoine et création actuelle se télescopent dans une même échelle temporelle qui interroge la notion de permanence. Dans leur volonté d’esthétiser le monde, les œuvres de l’architecture et du design dessinent aussi les ruines du futur. Un constat qui invite plus que jamais à réévaluer le temps d’existence de chaque création, à dépasser sa seule durée d’usage pour se mettre à l’unisson du paysage qui survivra à toute chose. 

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